Color de Eiki Eiki et Zaou Taishi

Après les bonnes ventes du Jeu du chat et de la souris de Setona Mizushiro, Asuka nous offre un nouveau boys love écrit et dessiné par un duo de mangaka. Si le nom d’Eiki Eiki est inconnu en France, Princess Princess de Mikiyo Tsuda (Taishi Zaou), un shôjo, est édité par Kami. Color n'est pas leur unique collaboration puisqu'elles ont aussi oeuvré sur Haru Natsu Aki Fuyu (chez Ichijinsha), un girls love.
En tant que boys love, Color ne fait guère dans l’originalité. On retrouve notre couple habituel de bishônen au physique androgyne. S’ils n’étaient pas plats comme des planches de surf, on pourrait les prendre pour des femmes. Le blond aux longs cheveux, après quelques instants de suspens incommensurable, devient évidemment le uke (passif), et Sakae dont le minois n’est pas moins délicat se transforme peu à peu en un seme (actif) digne de ce nom, soit quelque peu tortionnaire. Que serait un boys love sans son seme en apparence salaud mais au cœur fondant comme du chocolat ? Sans doute un bon boys love, diront certains. Passons.
Color a le mérite d’avoir un dessin de qualité, ce qui est loin d’être le cas de tous les mangas du genre (ne vous fiez pas à la couverture particulièrement hideuse). On note quelques variations dans le physique des personnages selon les chapitres, dues aux deux dessinatrices travaillant sur le titre, mais rien de terriblement dramatique. L’usage de nombreuses trames donnent du relief aux planches. Par contre, les décors sont réduits bien souvent au strict minimum. De quoi situer l’action mais ne vous attendez pas à une débauche d’arrières plans à chaque case. On plaidera en disant que c’est le style shôjo, pardon, boys love qui veut ça.
L’histoire présente quelques bonnes idées, comme par exemple l'initiation amoureuse des deux héros, inexpérimentés durant le début du manga. On passe graduellement des baisers à l'acte sexuel et voir Tsuda analyser les boys love de sa soeur pour comprendre comment on fait est assez amusant. Les notes finales des deux auteurs sont aussi appréciables, car elles ne se limitent pas aux stupidités habituelles sur les nouveaux jeux vidéo testés et dévoilent l'origine du manga.
Hélas, en un seul volume, on se rend vite compte que les mangaka n’ont pas l’occasion de développer pleinement l'histoire. Ainsi, la double-personnalité de Sakae n’est qu’effleurée. Au final, on ne le voit agir qu’une seule fois avec une réelle cruauté gratuite envers Tsuda. Le reste du temps, il se lamente sur son pauvre sort, à l’image de son uke. L'histoire dramatique du jumeau de Tsuda, pourtant un des éléments clefs de l'histoire, reste en arrière plan. On perçoit la tristesse de Tsuda en quelques occasions sans parvenir à être touché. Il en est de même pour les relations de Sakae et de sa famille. Sakae ne se retrouve au final jamais confronté directement aux siens alors qu'il aurait pu être interessant de le mettre en scène face à son père ou son frère. Ce manque d'intensité est tout de même un comble pour un manga qualifié de « sensible » par Asuka. Quant aux thémes plus réalistes, tel que l’homophobie ou le mariage, ils ne sont abordés la plupart du temps que sous le trait de l’humour. Aucun enjeux dramatique n’est développé autour. Qui plus est, Color affiche un certain conformisme puisque Tsuda et Sakae acceptent le fait de se séparer un jour prochain puisqu'ils ne peuvent se marier (entre autre chose). Deux personnes amoureuses ne devraient-elles pas se battre pour être reconnues plutôt que de se conformer à la société ? Certains penseront que de toute manière ces questions sont absentes du boys love mais c’est mal connaître le genre et ses multiples facettes. Au final, la fin du livre amène un sentiment de frustration et l’on aurait aimé que l’histoire s’étende sur un second opus. Color est distrayant mais le tout manque de force narrative. De plus, il est triste de devoir constater qu'en remplaçant les deux protagonistes par un couple hétéro... cela ne donnerait qu'un shôjo sans grande originalité.
Asuka a-t-il pour autant fait un mauvais choix ? Non, en considérant le peu de boys love sur le marché français. Color n'a que peu de concurrence et, s'il a ses défauts, ce n'est pas un titre qui mériterait le lance-flamme, loin de là. Les fans de boys love seront sans aucun doute ravis d'acheter ce titre et, bien que Color soit loin de ce que l’on peut trouver dans un You’re My Love Prize In Viewfinder ou un Haru wo daite ita, l’érotisme plaira aussi à ceux qui auront été frustrés par la platitude de Fake à ce niveau. Notons cependant que Color n’est pas sous blister et ne bénéficie que d’un avertissement, une bonne décision d'Asuka car il n'aurait pas mérité de finir sous plastique.
Quant au travail d'Asuka, si certains hurleront après le simple sous-titrage des onomatopées plutôt qu'une adaptation intégrale, il est acceptable. La couverture reste horrible, avec tout cet abus de rose bonbon (le vert du volume japonais était moins sirupeux), mais le studio GB One nous épargne certaines erreurs auxquelles il nous a accoutumé par le passé. La traduction sonne juste, bien que cela soit difficile à juger sans avoir lu la VO, et on note seulement quelques phrases ayant échappé à la correction, tel que je vais me rentrer ». Gênant, surtout pour un produit professionel, mais rien qui justifie un attentat dans les locaux d'Asuka.
Au final, Color est une lecture agréable pour qui cherche un titre avec lequel se détendre sur la plage durant l’été, pas plus. Mais distraire est déjà une qualité en soi.