ES de Fuyumi Soryo

Publié le par Roshieru

Shuro est un jeune homme comme les autres. En apparence seulement... Il est capable d'entrer dans l'esprit des gens et de les manipuler. Effacer un souvenir ou causer des hallucinations est un jeu d'enfant pour lui et c'est ainsi qu'il parasite l'existence d'autrui, en se faisant passer pour un ami, un enfant ou un collègue avant d'effacer la mémoire de ses victimes et de disparaître dans la nature. Jusqu'à ce qu'il rencontre Mine Kujô, une scientifique spécialisée dans la physiologie du cerveau et dont l'esprit ne peut être pénétré. Pour Mine, Shuro est un mystère insondable et, lorsque plusieurs meurtres inexpliqués se produisent, elle ne tarde pas à comprendre que ceux-ci sont liés au jeune homme et à son passé douloureux. Avec l'aide de Sakaki, un scientifique ayant connu Akiba lors de sa jeunesse, elle tente de percer les secrets du gène ES et de mettre fin au massacre...

Fuyumi Soryo est avant tout connue pour Mars, shôjo en 15 volumes parus chez Kodansha au Japon. Avec Eternal Sabbath (ou ES), elle s'attaque à un tout autre genre d'histoire. Le manga fut publié dans Morning, un magazine seinen réputé, où furent notamment édités Kakarichô Shima Kôsaku de Kenshi Hirokane ou, plus récemment, Planètes de Makoto Yukimura. ES est-il un digne représentant du genre ou un titre à oublier au plus vite ?
ES part avec un postulat de base exploité jusqu'à la moelle par bien d'autres oeuvres : celui des pouvoirs psi. On était en droit de s'attendre au pire, comme une reprise grossière de cette vieille légende de l'Homme qui n'utilise que 10 ou 20% de son cerveau. Fuyumi Soryo a préféré attaquer le problème sous un angle plus actuel, celui de la manipulation génétique et du clonage, ce qui permet aussi de soulever des questions éthiques pour le moins pertinentes. Ouf.
Soutenu par un graphisme détaillé, quoiqu'un peu froid par moment, ES tient plus du manga psychologique que d'action, en dépit de quelques scènes sanglantes. La complexité des rapports humains est constamment mis en avant durant les différents volumes qui amènent nos héros à affronter Isaac, le « méchant » de l'histoire. Mine vit une confrontation douloureuse avec sa meilleure amie, puis tente d'améliorer les rapports entre une mère abusive et sa fille, pendant que Shuro apprend les sentiments humain en compagnie de ses grand-parents de substitution et de la scientifique. Quant à Isaac, il permet à la mangaka d'explorer des thémathiques d'ordre éthique. S'il reste indéniablement un être d'une cruauté infantile et doté de supers pouvoirs, il n'en est pas moins pathétique, puisque produit inévitable du manque d'humanité de ses créateurs. A une époque où l'on parle fréquemment de clonage humain et de génétique, les reflexions soulevées par Fuyumi Soryo sont loin d'être anecdotiques. En effet, comment traiter les enfants que nous pourrions faire naître par ces progrès techniques ? Comme des cobayes ou de véritables êtres humains ? Et quels en seraient les conséquences pour eux ? Pour nous ? Il est cependant regrettable que Sakaki soit peut exploité, notamment vis-à-vis de cette problématique d'ordre moral. Son rôle se résume principalement à révéler la vérité sur le gène ES, puis à vouloir tuer avec acharnement Isaac. Même ses rapports avec les autres héros restent pour le moins léger. Il y aurait eu pourtant bien des possibilités à explorer et on a le sentiment que Fuyumi Soryo n'a pas su l'exploiter judicieusement. De même, si la fin est interessante sur le papier, on a un sentiment de précipitation, alors que les précédents volumes avançaient plutôt lentement. Sans parler de baclage (le récit arrive à sa seule conclusion logique mais offre une dernière touche d'espoir), on est toutefois un peu déçu.
Heureusement, ces fausses notes se rattrapent sur d'autres points. En effet, non content d'essayer de nous faire un peu réfléchir (bien que l'on n'atteigne pas non plus la complexité de certains chefs d'oeuvres de la SF), ES est aussi un titre possédant sa dose de suspense et qui saura donc interesser ceux qui se désintéressent totalement des questions d'éthique scientifique. Côté dessin, Fuyumi Soryo libère tout son talent lors des scènes oniriques et a particulièrement soigné la mise en scène de l'histoire. Il en est de même pour les expressions des personnages, dont les changements sont très appuyés, bien que certains lecteurs seront sans doute rebuté par l'apparente froideur de certains d'entre eux. Ceci s'applique tout particulièrement à Shuro. En effet, on est assez loin de cette froideur méprisante et que les lecteurs trouvent tellement classe, propre aux ténébreux de l'ensemble de la production manga. Shuro est plutôt du genre à avoir un regard vide de toute expression et qui collerait à n'importe qui quelques frissons dans la réalité...
L'édition de Glénat commence à dater mais se montre relativement à la hauteur. La traduction semble de bonne facture et la cohérence conservée sur tous les volumes. Ce n'est pas toujours le cas puisque les éditeurs ont parfois tendance à changer de traducteur comme de culotte et les choix d'adaptations peuvent varier d'un traducteur à un autre. Ici, une seule et même personne, Sylvie Siffointe, semble s'être occupée du titre. Le lettrage est parfois un petit peu anarchique dans certaines bulles et les onomatopées japonaises sont conservées pour un simple sous-titrage. Encore une fois, cette question d'adaptation graphique sera du goût de chacun. Dans le cas d'ES, les onomatopées japonaises sont discrètes à l'origine et le sous-titrage n'encombre pas trop les cases. Côté reliure, les pages couleur du premier volume tendent à se décoller et ce n'est pas faute d'une utilisation soigneuse. Il est cependant possible que ce problème ne soit limité qu'à un petit nombre d'exemplaires et que ceux toujours disponibles dans le commerce n'en souffrent pas.

Publié dans Seinen

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