1945 de Keiko Ichiguchi

Publié le par Roshieru

Comment profiter de sa jeunesse lorsque l'on vit sous le régime nazi et que la seconde guerre mondiale enflamme l'Europe ? Alex et Elen sont deux adolescents que tout séparent : l'un est entré dans les jeunesses hitlériennes, l'autre a une amie juive et un frère opposé au nazisme. Pourtant, un lien indéfectible les unis.

1945 est un manga au thème pour le moins inhabituel, d'autant plus au sein du magazine de jeunes filles, Amie, dans lequel il fut publié. L'histoire est directement inspirée par la Rose blanche (Die Weiße Rose), un groupe d'étudiants allemands opposés au régime nazi et ayant écrit des tracts contre celui-ci. Leur combat prend fin en 1943, lorsque les Scholl (Hans et sa soeur Sophie) lancent des tracts dans la cour de leur faculté et sont dénoncés par un concierge. Ils sont guillotinés après un procès sommaire et d'autres membres du réseau sont eux aussi exêcutés ou décédent dans les camps. Cependant, 1945 n'en reste pas moins une fiction : si la vie des héros comportent des épisodes rappelant ceux des membres de la Rose blanche (on retrouve l'épisode de l'enrôlement dans la Wehrmacht ou encore celui de l'université), l'auteur leur offre une identité propre, de leur nom à leur histoire personnelle. Un choix qui permet sans doute à l'auteur de broder plus facilement autour des tourments de ses protagonistes sans être retenue par la réalité biographique.
De par son genre d'origine, on aurait été en droit de craindre le pire. Non pas que le genre soit mauvais mais qu'ils se prêtent mal aux oeuvres matures, en raison du public cible, et que le thème traité demande un certain doigté. Par exemple, Cantarella de You Higuri est divertissant en tant que shôjo, avec son lot de bishônen torturés et de jeunes filles amoureuses, mais ne vaut pas grand chose sur le plan purement historique. Or, ce que l'on accepte d'un manga traitant d'une période aussi lointaine que celle de Borgia passe moins lorsque l'on s'attaque à la seconde guerre mondiale. Le lecteur, qui plus est le lecteur européen qui découvre l'oeuvre traduite dans son beau pays, est en droit d'attendre un titre qui ne traîte pas le thème du nazisme par dessus la jambe et quand bien même 1945 aurait été conçu, à la base, pour les jeunes japonaises.
Fort heureusement, 1945 n'est pas ce genre de manga. Certes, la romance est présente à travers le couple que forme Elen et Alex. Certes, le dessin est très shôjo et a même une esthétique un peu vieillotte. Certes, de son propre aveu, Keiko Ichiguchi a édulcoré certains éléments ; ce qui ne signifie pas que notre Allemagne nazie est rose bonbon, les camps de concentration, les charniers, les massacres de civils et autres horreurs sont évoqués plus d'une fois... à travers les propos des personnages plutôt que l'étalage de violence. Cependant, 1945 réussit son pari, celui de nous décrire l'existence de jeunes allemands à cette époque tourmentée et se heurtant à la cruelle réalité, tantôt cherchant l'oubli, tantôt oeuvrant pour un idéal qu'ils pensent juste. Certains lecteurs regretteront sans doute que 1945 ne soit pas plus incisif, en portant un véritable jugement sur les évènements de l'époque (bien que la désillusion d'Alex envers le nazisme soit amenée plusieurs fois), mais cela n'enlève rien à l'intérêt de ces tranches de vie tragiques.
L'édition de Kana présente un grand format et une adaptation intégrale de l'oeuvre (onomatopées inclues). Les dernières pages offrent quelques explications de la traductrice sur la genèse de 1945. Dommage que le prix soit un poil élevé (prix éditeur de 10€) pour seulement 120 pages et qu'il y ait quelques défauts d'impression sur certaines trames.

Publié dans Shôjo

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